Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

dimanche 16 mai 2010

Désert urbain

La ville du futur est dans tous les esprits. On parle du Grand Paris, de l'extension du tramway, de la rénovation du forum des Halles, des normes de construction et d'isolation des logements. La ville du futur sera plus verte, plus propre, plus fluide. Elle tiendra compte du rythme des saisons. On la verra fleurir au printemps, et l'hiver la trouvera plus modeste, plus humble. Ses avenues boisées seront parcourues par des rames silencieuses, rapides et efficaces, telles des anguilles mues par le seul pouvoir de leur électricité. Ses immeubles seront bas, fonctionnels, moins gourmands en énergie. On rénovera les façades, on empêchera les voitures de venir gâter la beauté du centre-ville. On entendra à nouveau les oiseaux, perchés dans les arbres plantés à des endroits stratégiques. Il y aura partout des stations de vélos, chacun pourra quand il le souhaite emprunter une voiture en libre-service, les lignes automatisées du métro mettront les voyageurs à l'abri des aléas du climat social. La Seine perdra son trouble, on lui rendra sa clarté, peut-être même parviendra-t-on à y faire revenir quelques poissons qui allègrement feront des cabrioles sous les arches bienveillantes du Pont-Neuf. Du monde entier, les gens viendront voir cette merveille, Paris enfin re-née, rendue à sa splendeur d'antan. Attractive à nouveau.

Mais qui parcourera les rues coquettes, qui flânera sur les vélos, qui entrera dans les magasins aux rayonnages bien fournis? Les immeubles impeccablement rénovés abriteront des bureaux, ou des appartements saucissonnés pour en faire autant de studios, plus rentables, plus faciles à louer. Les grands appartements ne pourront plus être occupés que par des millionnaires qui en feront usage quelques semaines par an, avant de s'envoler pour leurs autres propriétés. Ceux qui un jour, peut-être, avaient espéré habiter dans la ville, y fonder une famille, s'appuyant innocemment sur leurs seuls revenus, auront depuis bien longtemps quitté ses abords proprets pour ceux, moins onéreux, de la très large périphérie. Dans les studios, on trouvera des étudiants fortunés, des cadres célibataires, des "turbo-travailleurs" louant la piaule à la nuit. Bien sûr, il y aura quelques HLM où l'on emmènera les caméras pendant les campagnes électorales, car après tout, il faut bien justifier la dépense publique. 

Que la ville sera belle, alors! On viendra la voir, le weekend, parcourir ses rues, visiter ses musées, s'asseoir dans ses cafés. On se réjouira de ce trésor national, ainsi préservé, mis sous cloche pour que personne ne puisse le déflorer. On aurait bien voulu y habiter, mais l'on se rend bien compte que ce n'est pas possible. Il faut bien s'accommoder de sa situation. Et puis, on a des goût de luxe. On aimerait vivre dans plus de 45 mètres carrés, sans avoir trop de fuites dans le plafond ni trop de souris dans les murs. On voudrait éviter de s'endetter sur cinquante ans, ou de dépenser les trois quart de son salaire en loyer. 

Alors, c'est évident; la ville du futur n'est pas pour nous.

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