Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

mercredi 30 juin 2010

Footchibal


Que n’a-t-on pas fait comme parallèles à l’occasion de cette coupe du monde de football. La lente agonie des Bleus, leur comportement indigne, irrespectueux, que dis-je, scandaleux, ont été interprétés comme un reflet du déclin de la France, de l’incurie sarkozyenne pour les valeurs de la République, voire, dans la bouche d’un ineffable philosophe, de la montée en puissance des « petits caïds » en tout genre dans notre beau pays. Insultes au sélectionneur, grève de l’entraînement (grève sans retenue sur salaire, concept à suggérer aux entreprises et à l’Etat), discours de Ministres, réception de Thierry Henry à l’Elysée, audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, rien ne nous aura été épargné. Je ne m’amuserai point à discourir sur ce que révèle cette frénésie politique (bien plus d’ailleurs que le comportement des Bleus en lui-même), ce tapage intempestif en pleine mobilisation contre la réforme des retraites. D’autres l’ont déjà fait, sans doute bien mieux que moi. 

Plutôt que de m’indigner, je voudrais – ô, paradoxe suprême – dire pourquoi j’aime le foot. Oui, j’aime le foot, ou, pour être plus précise, j’aime les coupes du monde de foot. Pourquoi, me demanderez-vous, attendu que mon profil – jeune femme urbaine éduquée, sur-éduquée, disons à Bac + n (le chiffre commence moi-même à me faire peur) – ne correspond peut-être pas au cœur de cible d’une telle manifestation ? Parce que cette ferveur nationaliste qui soudain s’installe lors de cet événement quadriennal me donne l’occasion de me proclamer ouvertement citoyenne du monde, d’afficher avec véhémence mon refus de m’identifier au pays dans lequel je me trouve. Par principe, je suis contre l’équipe de France. Parce qu’un pays qui a été une fois champion du monde se croit aujourd’hui autorisé à vouloir gagner à tous les coups, et ne soutient son équipe que quand elle gagne, parce que l’on n’est pas une « nation du foot » simplement parce que l’on a remporté deux grandes compétitions internationales, parce que ce genre de chose, ça se construit aussi dans la défaite, voire dans l’humiliation. Enfin parce que la plupart du temps, au moment des coupes du monde, il se trouve que je suis en France. Dans ces cas-là, donc, je soutiens l’Italie. C’est mon deuxième pays, et j’éprouve un plaisir tout particulier à soutenir (et non pas à supporter) cette équipe que tant de gens – en particulier leurs voisins transalpins – abhorrent, qui ferait de l’anti-jeu, qui jouerait la comédie, en somme, cette équipe qui la première a compris ce que le foot voulait vraiment dire. Je me permets cependant de faire remarquer que, la seule fois où je me suis trouvée en Italie pendant une coupe du monde, c’était en 1994, et, outrée par l’attitude des supporters italiens trop fanatiques à mon goût, j’avais soutenu le Brésil lors de la finale.

Maintenant que la France et l’Italie sont toutes deux sorties au premier tour, que me reste-t-il ? Des équipes – l’Allemagne, l’Argentine – dont j’apprécie le jeu, et le sport lui-même. Je ne prétends pas être spécialiste de ses règles, je ne suis pas l’évolution des joueurs en club, ni le mercato (mot italien, soit dit en passant), pour être tout à fait honnête je m’en tamponne le coquillard. Mais, une fois tous les quatre ans, je succombe à la folie du ballon rond. Je regarde des matches improbables, je chante tous les hymnes que je connais (la sortie de l’Afrique du Sud nous a privé d’un des plus beaux), je commente les coupes de cheveux des joueurs (les Argentins sont manifestement restés bloqués dans les années 1980, les Slovaques ont résolu le problème en se rasant presque tous la tête), je râle quand il n’y a pas de but, je crie très fort quand il y en a. Est-ce abêtissant ? Peut-être. Me soumets-je ainsi au pouvoir de la FIFA, institution pendable s’il en fût ? Probable. Mais, lorsque le tireur s’approche du but, tous les voyants rouges s’éteignent, et il ne reste plus que les palpitations du cœur, peut-être idiot, mais qui veut se faire entendre. Que le but soit chilien, français, ghanéen ou japonais, au bout du compte cela n'importe guère ; d’aucuns me reprochent de ne pas avoir compris la coupe du monde, car je ne parviens jamais à m’identifier corps et âme à une équipe. Je les laisse causer. Tout ce qui m’intéresse, c’est de voir la balle faire bouger le filet, faire trembler cette pauvre caméra que l’on voit sans cesse ballotée au fond des cages, de regarder des joueurs probablement payés beaucoup plus que ce qu’ils devraient l’être se rouler par terre d’aise pour le simple fait d’avoir mis un ballon dans un filet. Parce que « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ». Et parce que ça fait du bien, malgré tout, de mettre de temps en temps sa conscience critique en veilleuse. Oh, pas longtemps. Juste le temps d’un : « Buuuuuuuuuuuuuuuuuuuut ! » 
PS: la référence du titre, pour les plus jeunes: