Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

lundi 28 mars 2011

Actu Express


-       Actu Express j’écoute?
-       Bonjour, Madame.
-       Bonjour Monsieur. En quoi peut-on vous être utiles aujourd’hui?
-       Alors voilà, j’aurais besoin d’une catastrophe.
-       Quelle taille?
-       Maxi s’il vous plaît.
-       Naturelle ou pas?
-       Hum… Je ne sais pas, dites-moi ce que vous avez.
-    Nous avons différentes formules à vous proposer. La formule “11 septembre” est malheureusement indisponible, on est en train de retravailler un peu la recette.
-       C’est dommage.
-       Oui, mais les clients n’étaient plus très satisfaits, alors on s’adapte. Je vous propose donc un “Tchernobyl 1986,” ou alors un “Tsunami 2004”, ou encore un “Haïti 2010.” Ce sont toutes des maxi, effet garanti.
-       Et, c’est possible d’avoir un peu des trois ?
-       Mais bien sûr, Monsieur, on peut tout à fait panacher. L’effet sera d’autant plus grand. En ce qui concerne la localisation ?
-       Il faudrait que ce soit dans un pays très développé. Ces choses-là, quand ça arrive chez les pauvres, les gens versent une petite larme mais ils n’ont pas vraiment peur. Non, là il nous faut de la frousse, de la vraie, de l’ambiance fin du monde, si vous voyez ce que je veux dire. Donc il faut que ça arrive dans un pays très technologique, très avancé, vous voyez le genre.
-       Tout à fait, Monsieur.
-       Et cette fois, pas de blagues, faut que ça marche. C’est un peu votre faute tout ça.
-       Mais, Monsieur…
-       Si, si, vous nous avez bien eus avec vos révolutions arabes, là. On pensait qu’ils allaient mettre des bombes partout, qu’on allait voir plein de femmes voilées et des barbus à l’air méchant. Résultat : démocratie, liberté, et tout le tremblement. Vous avez failli nous créer une grosse vague d’espoir avec vos conneries. Donc là il me faut quelque chose pour faire oublier toute ça.
-       Qu’est-ce que vous pensez du Japon ?
-       Du Japon ?
-       Oui, pour votre maxi cata.
-       C’est possible, ça, vraiment ?
-       Mais bien sûr.
-       Ah oui, alors, le Japon c’est parfait, en plus on va pouvoir en rajouter une couche sur le stoïcisme du peuple japonais, les gens vont les admirer, en même temps ils vont avoir peur, on pourra ressortir les samurai, les rituels de la société japonaise, les gens qui se font hara-kiri, c’est très bien, ça.
-       Donc c’est d’accord ?
-       Oui, c’est d’accord. Ah, et sur le nucléaire, allez-y mollo quand même. C’est toujours à double tranchant ces affaires-là.
-       Bien Monsieur. Ce sera tout ?
-       Oui, merci, ça devrait nous occuper un moment.
-       Très bien, bonne soirée.
-       Bonne soirée à vous.

lundi 31 janvier 2011

Adieu, monsieur le professeur

         Les enseignants aiment se plaindre. C’est l’une de leurs principales caractéristiques. Ils se plaignent dans les soirées qu’ils organisent entre eux pour dire du mal de leurs élèves, ils se plaignent auprès de leur famille qui ne reconnaît jamais la valeur de leur travail, ils se plaignent dans la rue lors des manifestations qu’ils organisent régulièrement à grand renfort de drapeaux et de banderoles, qu’ils rédigent laborieusement, en prenant bien garde de ne pas y laisser de fautes d’orthographe.
        Depuis longtemps, on a arrêté de les écouter. On les regarde avec condescendance, pitié ou énervement. Pour qui se prennent-ils, enfin, à occuper ainsi nos rues au lieu de s’occuper de nos chers enfants, à critiquer leur ministère auquel, en bons fonctionnaires, ils devraient pourtant se soumettre ?  C’est un comportement proprement scandaleux, qui ne sied guère à l’image que l’on se fait de l’instituteur en blouse, tout entier dévoué à son travail, sévère, mais juste, amoureux de sa vocation, jouissant en silence des quelques privilèges qui lui sont accordés.
       Que se passerait-il si tout à coup on se rendait compte qu’ils ont des raisons de se plaindre ? Pensez-vous, ça n’est pas possible. Ils ont pour eux la sécurité de l’emploi, d’innombrables vacances et congés divers, un travail somme toute relativement facile, puisqu’il est bien connu qu’ils préparent leurs cours pendant deux ou trois ans et les réutilisent ensuite pendant quarante, aucune pression, aucune compétition, bref, une véritable sinécure.
        Au risque d’en choquer certains, et de retomber dans le cliché du « prof qui ne se rend pas compte de ce qu’il a », je voudrais souligner quelques aspects saillants de la situation actuelle des enseignants, afin de démontrer, car après tout l’une des rares qualités que l’on peut accorder aux profs est celle de savoir à peu près construire un raisonnement, que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

        S'il fut un temps où la profession d'enseignant attirait, ce temps semble aujourd'hui révolu. De nombreux enseignants le déplorent eux-mêmes; au lycée, en classe préparatoire, à l'université, les meilleurs étudiants font souvent le choix de filières réputées plus « porteuses » (communication, commerce) ou plus « glamour » (Sciences Po, journalisme, édition), et s'orientent de plus en plus rarement vers les métiers de l'enseignement. Cela induit par ailleurs, à moyen et long terme, un risque de baisse de niveau parmi les enseignants, si ceux-ci sont recrutés, en quelque sorte, par défaut, parmi des gens qui font ce métier parce qu'ils ne voient pas quoi faire d'autre. Cette tendance est également renforcée par la précarisation des enseignants. Quand on demande à des vacataires ayant à peine un niveau licence d'assurer des cours en les prévenant du jour au lendemain et en n'exigeant pas que la licence soit récente (« vous avez fait de l'allemand il y a cinq ans? C'est parfait, vous avez cours demain »), ce n'est pas de la faute des vacataires s'ils ne sont pas en mesure d'assurer ces cours de manière satisfaisante.
        Je ne verserai pas de larmes sur la disparition annoncée du concours de l’agrégation. L’inégalité de traitement entre certifiés et agrégés est l’une des particularités du système d’éducation à la française, et l’une de celles auxquelles je tiens le moins. Je serais donc la première à applaudir une telle réforme, si elle s’accompagnait d’une vaste « campagne nationale » (dont nos politiciens sont si friands) visant à redorer le blason d’un métier aujourd’hui largement déconsidéré. Sur le papier, la situation est la suivante : on nous promet des enseignants ayant tous le niveau Master, et l’on envisage de revenir sur leur statut de fonctionnaire, afin de garantir une meilleure compétitivité et une plus grande flexibilité dans les carrières. Pourquoi pas, après tout ? Mais il faudrait alors assurer aux enseignants une rémunération à la hauteur de leurs qualifications (cela est valable tant dans le secondaire que dans le supérieur) et leur garantir de meilleures conditions de travail et la possibilité de se reconvertir (donc de se former) à différentes étapes de leur carrière.
        Or, les réformes en cours vont absolument dans le sens inverse. La remise en question du statut des fonctionnaires a pour conséquence une plus grande précarisation des enseignants (multiplication des vacations, des contrats à durée déterminée, sur lesquels par exemple les universités comptent de plus en plus pour assurer leurs cours) et ne s’accompagne pas d’une révision substantielle des grilles salariales. Quant aux possibilités de reconversion, elles restent très marginales.
         On assiste ainsi à un déclin qualitatif de la profession. Les meilleurs élèves et étudiants ne veulent pas « finir profs » (Dieu que la langue est parfois cruelle !), et ceux qui ont eu le malheur de s’engager dans cette voie souvent le regrettent et cherchent par tous les moyens à en sortir.
         Je ne m’étendrai pas sur le déclin quantitatif, facilement constatable. Au-delà des chiffres astronomiques des suppressions de postes, ce déclin a pour conséquence la disparition de certaines matières. Adieu l’allemand, adieu le russe, vous apparteniez à un siècle désormais révolu. Et puis, il faut bien l’admettre, vous êtes trop difficiles à apprendre. Adieu peut-être un jour la physique, les maths non « appliquées », qui sait ? L’avenir nous réserve bien des surprises.
        On constate également un déclin que l’on pourrait qualifier de psychologique. A force de s’entendre dire qu’ils ne sont pas de bons fonctionnaires (voir le traitement réservé aux « désobéisseurs » du primaire, et la nouvelle épreuve de déontologie des concours d’enseignement), qu’ils ne sont pas des « professionnels », puisqu’au contraire on invite des professionnels à participer, voire à assurer les cours, en somme qu’ils ne connaissent rien à la « vraie vie » (qui reste à définir…), les enseignants finissent par y croire. Comme on leur refuse aussi souvent le qualificatif d’ « intellectuel », car ils ne passent pas à la télé et ne font après tout que seriner ce qu’ils savent déjà face à un auditoire qui ne peut les juger, ils finissent par s’adapter à cette « vraie vie » tant vantée, essayant par tous les moyens de s’en sortir, de faire carrière, de privilégier leur « développement personnel ».
         Comme on leur répète à l’envi qu’ils ne travaillent pas, qu’ils ont la vie facile, alors qu’ils sont souvent obligés de travailler chez eux car ils n’ont pas de bureau, d’imprimer leurs cours sur leurs propres deniers car toutes les imprimantes du bahut/de la fac sont cassées, d’acheter des livres pour préparer leurs cours, ils finissent (peut-être à tort, certes) par idéaliser le travail de bureau, où les horaires sont fixes, où les vacances sont certes moins nombreuses mais peuvent être prises à des périodes où les billets d’avion sont à des prix raisonnables, où quand on coche la case « cadre supérieur » dans les grilles des sondeurs on a vraiment l’impression d’appartenir à cette catégorie. Ou bien, ils cherchent refuge à l’étranger, espérant que l’ailleurs, même s’il ne résout pas tout, pourra au moins leur changer les idées.
         Vous me direz, ce sont des préoccupations de nantis, de pauvres petits déçus par la « vraie vie » (encore elle !) dès qu’elle ne correspond pas tout à fait à ce qu’ils s’étaient imaginés. C’est la crise, ma pauvre dame, tout le monde est touché. Bien sûr, mais cette crise-là, dans ce domaine là (comme dans d’autres, la santé par exemple), a un impact, que l’on ne mesurera probablement que dans plusieurs années. Quand peut-être, au lieu de nous rebattre les oreilles avec l’économie de la connaissance, l’importance de l’éducation, de la formation et de la recherche, on finira par se rendre compte qu’on ne fait pas tourner un pays avec des traders et des chargés de communication. Ou alors, si on y arrive, grand bien nous fasse. J’espère simplement que j’aurai déjà pris le large.
        Comme c’est étrange, tout de même, cette impression d’être déjà un dinosaure, alors qu’on a même pas trente ans… 

N.B: Merci à toutes celles et ceux qui m'ont fait par de leurs remarques concernant une version antérieure de ce texte.

jeudi 20 janvier 2011

La révolution dans mon lit

Ces temps-ci, on entend beaucoup parler de révolution. Le peuple tunisien s'est soulevé, et a chassé son tyran. Ce qui est en tout point admirable. Par ailleurs, il est intéressant de voir la manière dont une révolution transforme radicalement l'identité de tout un peuple au yeux des témoins extérieurs. Là où l'on (par ce "on", j'entends une représentation collective et très générique, plus spécifiquement concentrée au sommet de l'Etat) voyait auparavant la société tunisienne comme une société-édredon, encaissant les coups avec torpeur, se boulochant somme toute assez lentement, bien que bordée de quelques extrémistes dangereux, ou comme un potentiel nid à islamistes contre lequel tous les remèdes étaient bons, on salue maintenant le courage du peuple tunisien (avant de retomber, peut-être dans quelques jours, dans la confortable image du nid à islamistes, même s'il faut admettre que là-dessus pour l'instant les Tunisiens, dont la révolte est avant tout politique et laïque, ne nous aident pas beaucoup). 

Ce préambule, je vous en préviens, n'a qu'un rapport très éloigné avec le thème de cette petite bafouille. Au risque d'apparaître, et ma foi de temps en temps ça fait du bien, nombriliste et bornée, je voudrais vous faire part d'une autre révolution, qui a eu lieu dans ma propre vie, et plus précisément dans mon lit. Ames sensibles, ne vous abstenez pas, je ne suis pas sujette aux propos graveleux et gravement attentatoires à mon intimité dans des pages que je destine à tout un chacun. C'est peut-être cela d'ailleurs qui fait que mes oeuvres ne sont pas publiées...

Suite à des problèmes de dos assez récurrents, se manifestant surtout au réveil, plusieurs "professionnels de la profession" (ô comme j'aime cette expression délicieusement tautologique. S'agit-il de médecins? de kinésithérapeutes? de psys? de chamanes? Lecteur, tu ne le sauras jamais) m'ont recommandé d'éviter de dormir sur le ventre. Ce qui d'un point de vue strictement médical est parfaitement logique, attendu que la position ventrale favorise la cambrure, qui elle-même occasionne les douleurs lombaires qui m'affligent.

Mais se rendent-ils compte, ces braves gens, du bouleversement profond qu'ils ont occasionné dans mon existence? Probablement pas, d'ailleurs c'est sûrement le cadet de leurs soucis. Mais comme je pense que cette question est au coeur de vos préoccupations, à vous, foules innombrables qui lisez ce blog, je m'en vais expliquer un peu mieux ma pensée (notez l'alexandrin). 

D'une part, le changement de position risque d'occasionner pendant un certain temps des troubles du sommeil. On ne se défait pas ainsi d'une habitude presque trentenaire. Or, le sommeil est pour moi une activité très importante. J'irais même jusqu'à dire que je considère le fait de dormir comme l'une des joies de l'existence. Le sommeil n'est-il pas, à sa manière, une autre petite mort? Le plus insupportable des enfants ne devient-il pas un ange dès que vous parvenez à lui faire fermer les yeux? Le sommeil est une porte ouverte à la force du rêve, l'un des rares moments où l'on abdique, où l'on se laisse aller à des forces que l'on ne connaît pas, que l'on ne contrôle pas. Bien sûr, bien des gens ont le sommeil agité; il m'arrive d'en faire partie, et je le ressens alors comme une véritable douleur, comme si l'on me retirait quelque chose, non seulement d'essentiel à ma survie, mais de central dans mon identité.

Oui, car ce changement de position remet en question des choses bien plus essentielles que la position de mon dos. "Dis-moi comment tu dors, et je te dirai qui tu es," disait un grand penseur dont le nom m'échappe. La position du sommeil, loin de n'être qu'une habitude acquise dès l'enfance, est un profond révélateur de personnalité. Freud lui-même en a probablement parlé avec sagacité dans l'une des conférences que je n'ai pas lues. L'INSEE l'a constaté dans toute une série d'enquêtes statistiques que je n'ai pas consultées. Ainsi, ceux qui dorment sur le ventre sont souvent d'un naturel aimable, confiant. Ils n'ont pas peur d'étouffer, ils ne voient pas venir le danger. Béatement, ils bavent un peu dans leur oreiller, savourent chaque instant de sommeil qui leur est offert, les bras parfois grands ouverts, embrassant le lit comme ils embrassent la vie (je m'émeus moi-même). Ils tournent le dos au monde, non pas pour lui signifier leur refus d'y participer, mais au contraire pour lui montrer qu'ils ne craignent pas de rester ainsi sans défense, démunis, offerts. 

Ceux qui dorment sur le dos sont d'un naturel bien différent. Sérieux, parfois sombres (n'est-ce pas ainsi que l'on couche les morts?), ils s'attendent à tout, sont prêts à tout affronter. Sûrs d'eux-mêmes, ils semblent dire au monde extérieur: "Soit, je dors, mais prends garde, j'ai l'oeil!". Cela ne les empêche pas, bien sûr, d'être sympathiques, à leur manière. Ne voyez là aucune discrimination de ma part. Je pense que Napoléon dormait sur le dos. Michèle Alliot-Marie aussi, probablement. Il ne fait en revanche aucun doute (voir la remarquable biographie que lui a consacré Patrick Poivre d'Arvor - ou était-ce quelqu'un d'autre? Suis-je bête, c'est pareil) que Boris Vian dormait sur le ventre.

Reste enfin ceux qui dorment sur le côté. Ceux-là ont besoin de protection, souvent ils se recroquevillent sur eux-mêmes, en position foetale. Ils se regardent, se protègent, se dorlotent. Oh, ce n'est pas qu'ils soient égoïstes, non. Au contraire. Simplement, ils ont un peu peur de se donner tout entiers au sommeil. Dormir sur le ventre, c'est refuser le corps ami qui pourrait vous étreindre, c'est faire du sommeil une expérience individuelle. Dormir sur le côté, c'est l'appeler, cet autre corps, lui signifier sa disponibilité. Un genre de socialisme de la nuit, si l'on veut.

Tout cela pour vous dire, ô amis (ennemis aussi d'ailleurs) que si vous remarquez chez moi un changement d'humeur, voire une altération radicale de la personnalité, il ne faudra pas accuser l'Université, le Monde, que sais-je encore. Je risque bien de n'être plus jamais celle que vous avez connue. Mais je souhaite néanmoins que vous vous souveniez de cette jeune femme ouverte, confiante et un peu simple, tandis que lentement je me métamorphose, et qu'à force d'insomnies, je deviens autre. A vouloir sauver mon dos, je risque de perdre mon âme. Ma foi, c'est tout de même beaucoup moins douloureux...

lundi 3 janvier 2011

Anti-voeux

Tout juste remise des agapes de fin d'année, je souhaitais vous transmettre mes meilleurs voeux pour 2011. Et puis, je me suis rendue compte que je ne savais trop que vous souhaiter. Est-ce le résultat de l'affaiblissement de mon cerveau suite à l'absorption excessive de boissons alcoolisées et de nourritures grasses? C'est possible. Quoi qu'il en soit, je ne peux me résoudre à vous adresser une litanie de douceurs; un bon plat ne saurait être tel que s'il y entre une pointe d'acidité.

A la manière du propriétaire soucieux de sa tranquillité d'esprit, qui attache un anti-vol à son vélo/scooter/moto/trottinette, je m'apprête donc à vous délivrer des "anti-voeux," afin de préserver votre esprit critique. Celui-ci, comme la liberté de la presse, ne s'use que si on ne l'utilise pas, et il ne sert à rien d'espérer le conserver en le déposant dans un bocal de formol. 

Plutôt que de faire des prédictions hasardeuses sur l'année à venir, je préfère ainsi revenir sur l'année passée. Que ses errements vous restent en mémoire lorsque vous commencerez à entendre les premiers vagissements de celle qui lui succède. Ils ne sont peut-être pas le signe de l'innocence du nourrisson (à laquelle du reste je crois peu) mais de la réincarnation du monstre. 

Bonne année, donc, et surtout:

- Bonne santé: le scandale du Mediator montre bien à quel point les pouvoirs publics sont soucieux de la bonne santé des citoyens. Jamais il ne leur viendrait à l'esprit, par exemple, de sacrifier le bien-être de tous à celui de certains laboratoires pharmaceutiques qui incarnent aux yeux du monde la grandeur et le prestige de notre beau pays (si l'on laissait ce soin au camembert, on courrait peut-être moins de risques... quoique...).

- Bonheur: la France est un pays "fatigué psychiquement," comme le disait début 2010 Jean-Paul Delevoye, à l'époque médiateur de la République. Les Français sont toujours de gros consommateurs d'anti-dépresseurs, et les formes de solidarité collective se délitent au profit d'un individualisme toujours plus marqué, qui semble cependant mener à la dépression plutôt qu'à l'épanouissement. Cela me rappelle les facéties de mon professeur d'histoire de classe préparatoire, qui en début d'année nous assénait: "Regardez votre voisin de droite, regardez votre voisin de gauche. Seul l'un d'entre vous a des chances de réussir le concours." On regarde sur les côtés avec méfiance, vers le bas la peur au ventre, vers le haut avec envie. Certains se disent alors qu'il vaut peut-être mieux fermer les yeux.

- Richesse et prospérité: la crise s'aggrave, le chômage perdure, les prix des logements augmentent, les salaires stagnent. La fracture sociale, de triste mémoire, se creuse chaque jour un peu plus, ce qui alimente les populismes de tout poil, qui ont beau jeu de surfer sur le "tous pourris". On leur rend la tâche facile. En guise de joyeux Noël, des députés soucieux du bien-être collectif et surtout du leur, se sont employés à faciliter les fausses déclarations de patrimoine des membres de l'Assemblée. Après tout, lorsque l'on voit leurs revenus moyens, on les comprend. Et on ne peut leur en vouloir d'essayer d'arrondir leurs fins de mois en arnaquant un peu le fisc. Après tout, il y a bien des électriciens qui ont 200 toiles de maître dans leur garage.

- Paix sur la terre (et dans le ciel): pour le ciel, le volcan islandais et la neige nous ont démontré que ça n'était pas pour tout de suite. Quant à la terre, je ne m'aventurerai pas dans des considérations qui me dépassent. Si l'on se contentait d'égrener les phénomènes naturels qui ont frappé notre bonne vieille planète au cours des douze derniers mois (tremblement de terre en Haïti, incendies en Russie, explosions volcaniques diverses et variées), cela suffirait à montrer que même si Dieu n'existe pas, il y a en tout cas des gens, au-dessus et en-dessous, qui ne sont pas très heureux de la manière dont les choses avances. En ce qui concerne les hommes, disons simplement qu'ils semblent considérer la terre davantage comme un bac à sable que comme un jardin qu'il faudrait cultiver.

En conclusion, et je ne sais si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, l'espoir nous vient d'un monsieur de 93 ans. Qui émet un seul souhait à l'aube de cette nouvelle année. Un souhait qui vaut toutes les mièvreries que l'on nous assène en ce mois de janvier sirupeux au possible.
"Indignez-vous!" "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer." Merci, Stéphane Hessel.

dimanche 14 novembre 2010

Ainsi font, font, font...

Vous êtes invité à une fête chez de très vieux amis, dont vous connaissez bien la maison. Vous y allez depuis des années, vous en connaissez tous les recoins, vous vous y sentez à l'aise, presque comme chez vous. Ce soir-là, vous vous apprêtez à passer à nouveau une soirée en charmante compagnie, entre discussions intellectuelles et potins divers et variés. Vous arrivez chez vos amis, un peu en retard, en bon Parisien. Les invités sont déjà presque tous là. Certains des amis qui habituellement se retrouvent lors de ces sauteries sont cependant absents. Mais il y a autre chose. L'appartement lui-même a été radicalement transformé. La cuisine est à la place de la salle de bains, une cloison a été abattue entre deux pièces, le mobilier a été refait. 

Une question se pose alors: quelle est la chose qui vous frappe le plus? Le fait que certains des visages familiers que vous êtes habitué à voir dans cet appartement bourgeois aient disparu? Ou la transformation de la maison elle-même? Qu'allez-vous vous demander? Si vos hôtes se sont brouillés avec certains de leurs amis, ou bien ce qui a changé dans leur vie à eux pour les pousser à transformer cet appartement dans lequel ils avaient pourtant semblé jusque-là se plaire, même s'il leur arrivait parfois de s'en plaindre?

Personnellement, j'opterais pour la deuxième solution. C'est sans doute pour cela que je ne suis pas éditorialiste politique. En effet, à l'annonce du remaniement de notre cher gouvernement, les choses qui m'ont frappée ont été:
- la disparition du Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale
- la disparition du Ministère de la Santé
- l'apparition d'un Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale

La recomposition des ministères démontre à l'évidence une volonté de la part du Président de donner un virage social à son "nouveau" gouvernement, et de faire oublier les excès sécuritaires et xénophobes de cet été. "Voilà monsieur, ce que vous m'auriez dit, si vous aviez un peu de lettres et d'esprit" comme dirait mon cher ami Cyrano.

Mais sur France 2, rien de tout cela. On ne s'intéresse qu'à la valse. Qui est entré, qui est sorti, qui va potentiellement se présenter en 2012 parce qu'il est rentré ou qu'il est sorti. Qui sont les "fidèles" de l'UMP, qui sont les centristes...

Je ne suis pas spécialiste de science politique. Je ne suis pas commentatrice professionnelle. Par ailleurs, je ne crois absolument pas que cette recomposition des ministères amènera un quelconque changement dans la politique du gouvernement.

J'aimerais simplement, quelquefois - ô, pas bien souvent, rassurez-vous - que l'on parle de politique. Peut-être n'est-ce que quand le bâtiment s'écroulera que l'on cessera de regarder qui serre le plus longtemps la main du maître de maison...

mardi 9 novembre 2010

C'est arrivé demain

J'ai revu récemment le très beau film de René Clair, C'est arrivé demain. Ce film raconte l'histoire d'un journaliste qui, après une sorte de pacte faustien (semi-involontaire) se retrouve à disposer chaque soir du journal du lendemain. Initialement ravi, il en profite pour sortir les scoops (dont il est déjà au courant) avant tout le monde, mais finit par se rendre compte que ce savoir est encombrant, voire dangereux, et par y renoncer. 

Une fois le film terminé, alors que j'émergeais lentement d'un monde en noir et blanc pour retrouver une grise soirée de novembre, je me pris à penser au tourbillon médiatique qui ces temps-ci nous entraîne - du moins pour ceux qui, comme moi, ont une radio greffée derrière l'oreille - toujours plus loin dans son vertige insensé. Dans le film de René Clair, à force de tout savoir avant tout le monde sans pouvoir expliquer d'où lui viennent ses certitudes, le protagoniste, Larry Stevens, finit par apparaître suspect aux yeux d'un certain nombre de gens, dont un inspecteur de police. Lui-même en vient peu à peu à douter du "miracle" dont il est en fin de compte la victime, doute qui se transforme en peur panique quand il lit sur le journal du lendemain l'annonce de sa propre mort. 

Les journalistes eux aussi sont aujourd'hui en proie au soupçon. Le cycle d'information continu (que Jon Stewart a récemment qualifié de "24-hour politico–pundit' perpetual panic conflictinator") qui toutes les heures introduit un nouvel événement, dissèque le moindre geste, la moindre parole des politiques, qui aplatit l'actualité en mettant sur le même plan la protestation contre la réforme des retraites et la nouvelle coupe de cheveux du peut-être futur Premier Ministre, nous donne le vertige et nous amène à penser que tout cela n'est que du bruit, fait pour nous distraire, ou nous bercer.

Non contents de suivre l'actualité minute par minute - doux Jésus, le Président n'a pas serré la main à tel ministre, serait-ce un signe de son imminente disgrâce? - de provoquer à tout instant des tempêtes dans un verre d'eau (trouble), il semble que de plus en plus, dans l'infinie course au scoop, certains médias se sentent à présent en devoir de prédire l'avenir. C'est une tendance lourde, par exemple, dans les sondages pré-électoraux. On la retrouve, poussée jusqu'à l'absurde, dans le traitement actuel de la vie politique du pays. Chacun veut être celui qui annoncera le premier le nom du prochain Premier Ministre. Orchestré par l'Elysée comme une émission de télé-réalité (qui donc va devoir "quitter l'aventure"?), ce ridicule petit jeu de chaises musicales est devenu la seule préoccupation de nos bien-aimés éditorialistes. 

Le remaniement, c'est demain, c'est demain, c'est demain.....  Mais nous, nous savons déjà, nous pouvons vous annoncer ce qui arrivera demain. Ce sera le chevelu sympathique, bien entendu puisqu'il s'est fait couper les cheveux. C'est évident, tous en choeur: "c'est arrivé demain, c'est fait, la cause est entendue, n'en parlons plus." Comment? Vous dites? Ce ne serait pas lui? Mais enfin cela va de soi. Ce sera l'homme aux yeux de cocker. C'est d'ailleurs ce que nous avons toujours dit. Il est bien plus sérieux, il a fait du bon travail, le Président doit lui garder sa confiance. Tous en choeur: "c'est arrivé demain, c'est fait, la cause est entendue, n'en parlons plus." Jusqu'à ce qu'un autre ministre se teigne les cheveux, ou serre la main du président plus de quinze secondes d'affilée. Et le nouveau favori est sur toutes les unes. Dont disparaissent les manifestations, le chômage, la dépression profonde dans laquelle ce pays est en train de s'enfoncer. A partir du moment où l'on décide que l'on prédit l'avenir, on ne laisse plus la place au présent.

C'est arrivé demain. Sauf que l'on n'en sait rien.

jeudi 9 septembre 2010

Ministre fantôme

En Italie, Claudio Scajola, Ministre du Développement Economique du gouvernement de Silvio Berlusconi, a démissionné en mai dernier suite à des accusations de corruption. Depuis, ce Ministère est dirigé par.... Silvio Berlusconi, qui en assure l'interim. Cette situation a suscité cet été de nombreuses critiques, tant ce poste semble important en cette période de crise économique. Comment le Président du Conseil peut-il remplir ses fonctions, et gérer en même temps l'un des postes-clé de son gouvernement? De mauvaises langues sont même allées jusqu'à affirmer que, le Ministère du Développement Economique devant bientôt rendre des arbitrages en matière d'audiovisuel, Berlusconi aurait sciemment retardé le remplacement du ministre pour pouvoir s'occuper en personne de ce domaine qui lui tient particulièrement à coeur. Mais nous ne nous laisserons pas aller à de pareilles calomnies, d'autant qu'après tout, cela ne nous...... regarde pas.

En France, une telle situation ne manquerait pas d'enflammer l'opinion, de donner naissance à moult débats d'idées d'une élévation sans faille, et de mener à une rapide résolution de la part de notre "République exemplaire." Car chez nous, tous les ministères sont pourvus. Des hommes et des femmes travaillent sans relâche à l'amélioration de la vie de leurs concitoyens, allant chercher la croissance avec les dents quand c'est nécessaire, et n'hésitent pas à aller taper dans le portefeuille de vieilles dames fortunées pour y trouver l'argent nécessaire à retrouver la Grandeur de la Nation.

Je voudrais donc rendre hommage à ces martyrs de la République, et surtout à ceux qui n'ont pas les honneurs des journaux télévisés. Je pense en particulier à notre Ministre de la Relance, Patrick Devedjian, nommé en décembre 2008 et dont nous sommes sans nouvelles depuis à peu près cette date. Si Scajola a démissionné, Devedjian est, pour autant que l'on sache, toujours en poste. Pourtant, on ne le voit pas, on ne l'entend pas. Le site du Ministère nous informe qu'il sera en déplacement dans le Cher et dans la Nièvre le 10 septembre prochain. Oyez, Français, et rendez vous donc tous sur le chantier de la déviation de Moiry (RN7) pour manifester votre soutien à cet infatigable travailleur de l'ombre. Assez des Hortefeux, Besson, Lagarde et autres premiers de la classe, que l'on voit toujours à la droite du Président. Je veux ici célébrer les Ministres-fantôme, ceux qui ont disparu au cours de l'épopée triennale de notre Bienveillant Leader. Les Amara, les Yade, les Devedjian, tous ces ministres et sous-ministres assis sur les strapontins du gouvernement, que l'on imagine, les yeux battus, le teint bistré, s'atteler à leur tâche quotidienne sans même l'espoir de se voir récompensés par un petit coup de blush et une caméra.

J'ai envie de crier: "Patriiiiiick!" Et de l'imaginer, notre Relanceur national, dans les boyaux de notre Pays, errant comme une âme en peine de déviation en rond-point, de rénovation de commissariat en inauguration de barrage, les doigts brisés par les milliers de serrages de pogne, toujours à la recherche du Saint Graal, entièrement dévoué à sa mission, celle de trouver, quelque part entre la restauration du portail de l'église de Chassenard et la rénovation du mur de la guinguette de la RN85, le petit bouton: "Redémarrer."