Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

mercredi 12 mai 2010

Apologie de la propagande

En cette époque que l'on peine parfois à qualifier d'éclairée, où l'on emploie sans cesse un mot pour un autre, où l'on n'ose dire "rigueur" de peur de se faire taper sur les doigts, où l'on enrobe sans cesse chaque discours d'une couche épaisse de non-sens afin que le bon peuple ne se pose pas trop de questions, il me prend l'envie soudaine de faire une petite apologie de la propagande. Aujourd'hui, ce mot est descendu dans les cachots de l'histoire. Il s'y morfond, on ne le ressort que pour le parader comme naguère les condamnés au pilori. Il est enchaîné au fascisme, au nazisme, au stalinisme, et ses compagnons de cellule rendent difficile toute demande de grâce de sa part. 

Pourtant, il faudrait rappeler que ce ne sont pas les régimes totalitaires qui ont inventé la propagande. Les débuts de celle-ci (dans son sens moderne) remontent bien plutôt à la première guerre mondiale, et, si la patrie du Kaiser fit grand usage des technologies modernes de propagation d'idées, la nation qui transforma la propagande en science fut bien l'Amérique, terre de la démocratie, patrie de la liberté. Bien que tardivement engagés sur le plan militaire, les Etats-Unis produisirent plus d'affiches de propagande que les autres belligérants, dont la célèbre "I Want You" où l'Oncle Sam semble presque se projeter hors du mur pour aller chercher l'innocent flâneur et l'entrainer dans la merveilleuse aventure de la guerre. La fleur au fusil, of course.

Un aréopage de grands esprits se consacrait à la composition du "message" à délivrer aux troupes et aux citoyens pour les encourager dans leur lutte contre la barbarie, en Europe comme à la maison (au grand dam des nombreux Américains issus de l'immigration germanique...). George Creel, Walter Lippmann, Edward Bernays se lancèrent dans "la fabrication du consentement" (expression authentique). C'est à cette époque que la choucroute, en anglais sauerkraut fut rebaptisée, pour cause de consonance un peu trop teutonne, freedom cabbage, le chou de la liberté. Où l'on voit que les freedom fries qui sont apparues sur le menu du Sénat américain en 2003, au moment de la querelle américaine avec la "vieille Europe" à propos de la guerre en Irak, ont un précédent historique.

Mais je m'égare dans les méandres de l'anecdote. La propagande, donc, à l'époque, était une nécessité presque naïvement reconnue par les gouvernants. L'un de ses principaux théoriciens, Edward Bernays (neveu de Sigmund Freud), se désole ainsi, lorsqu'il publie Propaganda en 1928, que le mot soit devenu presque tabou, alors qu'il ne décrit qu'un processus - la manipulation du peuple par ses dirigeants -  ma foi bien nécessaire au fonctionnement de la démocratie. Sans la propagande, qui permet au "gouvernement invisible", qu'il soit politique ou économique, de "faire passer" ses priorités et ses intérêts auprès des masses, celle-ci se transformerait inévitablement en anarchie.

Cette nécessité existe encore, et même plus que jamais. On en voit la preuve tous les jours. Seulement, aujourd'hui, gare à celui ou celle qui prononcerait le mot honni de "propagande". Comment? Il n'a jamais été dans notre intention de manipuler l'opinion publique. Notre but est avant tout que les Français/Anglais/Américains... nous comprennent, qu'il n'y ait pas de malentendus. Nous ne faisons pas de propagande. Il faut simplement que les choses soient dites de manière à ce que nos idées "passent". Soient... propagées en somme. Et acceptées. Le joli mot de "communication" (qu'elle soit de crise ou, j'adore cette expression, "d'influence") a détrôné celui de propagande. Lorsqu'on lit la définition de Bernays, pour qui la propagande moderne est "un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l'objectif d'influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe", on se demande bien pourquoi...

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