Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

lundi 3 janvier 2011

Anti-voeux

Tout juste remise des agapes de fin d'année, je souhaitais vous transmettre mes meilleurs voeux pour 2011. Et puis, je me suis rendue compte que je ne savais trop que vous souhaiter. Est-ce le résultat de l'affaiblissement de mon cerveau suite à l'absorption excessive de boissons alcoolisées et de nourritures grasses? C'est possible. Quoi qu'il en soit, je ne peux me résoudre à vous adresser une litanie de douceurs; un bon plat ne saurait être tel que s'il y entre une pointe d'acidité.

A la manière du propriétaire soucieux de sa tranquillité d'esprit, qui attache un anti-vol à son vélo/scooter/moto/trottinette, je m'apprête donc à vous délivrer des "anti-voeux," afin de préserver votre esprit critique. Celui-ci, comme la liberté de la presse, ne s'use que si on ne l'utilise pas, et il ne sert à rien d'espérer le conserver en le déposant dans un bocal de formol. 

Plutôt que de faire des prédictions hasardeuses sur l'année à venir, je préfère ainsi revenir sur l'année passée. Que ses errements vous restent en mémoire lorsque vous commencerez à entendre les premiers vagissements de celle qui lui succède. Ils ne sont peut-être pas le signe de l'innocence du nourrisson (à laquelle du reste je crois peu) mais de la réincarnation du monstre. 

Bonne année, donc, et surtout:

- Bonne santé: le scandale du Mediator montre bien à quel point les pouvoirs publics sont soucieux de la bonne santé des citoyens. Jamais il ne leur viendrait à l'esprit, par exemple, de sacrifier le bien-être de tous à celui de certains laboratoires pharmaceutiques qui incarnent aux yeux du monde la grandeur et le prestige de notre beau pays (si l'on laissait ce soin au camembert, on courrait peut-être moins de risques... quoique...).

- Bonheur: la France est un pays "fatigué psychiquement," comme le disait début 2010 Jean-Paul Delevoye, à l'époque médiateur de la République. Les Français sont toujours de gros consommateurs d'anti-dépresseurs, et les formes de solidarité collective se délitent au profit d'un individualisme toujours plus marqué, qui semble cependant mener à la dépression plutôt qu'à l'épanouissement. Cela me rappelle les facéties de mon professeur d'histoire de classe préparatoire, qui en début d'année nous assénait: "Regardez votre voisin de droite, regardez votre voisin de gauche. Seul l'un d'entre vous a des chances de réussir le concours." On regarde sur les côtés avec méfiance, vers le bas la peur au ventre, vers le haut avec envie. Certains se disent alors qu'il vaut peut-être mieux fermer les yeux.

- Richesse et prospérité: la crise s'aggrave, le chômage perdure, les prix des logements augmentent, les salaires stagnent. La fracture sociale, de triste mémoire, se creuse chaque jour un peu plus, ce qui alimente les populismes de tout poil, qui ont beau jeu de surfer sur le "tous pourris". On leur rend la tâche facile. En guise de joyeux Noël, des députés soucieux du bien-être collectif et surtout du leur, se sont employés à faciliter les fausses déclarations de patrimoine des membres de l'Assemblée. Après tout, lorsque l'on voit leurs revenus moyens, on les comprend. Et on ne peut leur en vouloir d'essayer d'arrondir leurs fins de mois en arnaquant un peu le fisc. Après tout, il y a bien des électriciens qui ont 200 toiles de maître dans leur garage.

- Paix sur la terre (et dans le ciel): pour le ciel, le volcan islandais et la neige nous ont démontré que ça n'était pas pour tout de suite. Quant à la terre, je ne m'aventurerai pas dans des considérations qui me dépassent. Si l'on se contentait d'égrener les phénomènes naturels qui ont frappé notre bonne vieille planète au cours des douze derniers mois (tremblement de terre en Haïti, incendies en Russie, explosions volcaniques diverses et variées), cela suffirait à montrer que même si Dieu n'existe pas, il y a en tout cas des gens, au-dessus et en-dessous, qui ne sont pas très heureux de la manière dont les choses avances. En ce qui concerne les hommes, disons simplement qu'ils semblent considérer la terre davantage comme un bac à sable que comme un jardin qu'il faudrait cultiver.

En conclusion, et je ne sais si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, l'espoir nous vient d'un monsieur de 93 ans. Qui émet un seul souhait à l'aube de cette nouvelle année. Un souhait qui vaut toutes les mièvreries que l'on nous assène en ce mois de janvier sirupeux au possible.
"Indignez-vous!" "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer." Merci, Stéphane Hessel.

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