Le droit à l'indignation

Ce journal a pour vocation de combattre la résignation et de proclamer le droit à une saine indignation. Inutile peut-être, mais néanmoins nécessaire, pour ne pas se laisser happer par ce que l'on veut nous présenter comme normal, pour résister, par le verbe seul, à la fatigue de la langue et des mots. Ce lieu n'est pas celui des propositions constructives, mais de la rhétorique, parfois enflammée, parfois facile, toujours sincère; le lieu de la colère, qui ouvre le débat au lieu de l'enterrer. Indignons-nous, mes amis, utilisons ce droit qui ne coûte rien et que personne, pour l'instant, ne peut nous retirer!

mardi 9 novembre 2010

C'est arrivé demain

J'ai revu récemment le très beau film de René Clair, C'est arrivé demain. Ce film raconte l'histoire d'un journaliste qui, après une sorte de pacte faustien (semi-involontaire) se retrouve à disposer chaque soir du journal du lendemain. Initialement ravi, il en profite pour sortir les scoops (dont il est déjà au courant) avant tout le monde, mais finit par se rendre compte que ce savoir est encombrant, voire dangereux, et par y renoncer. 

Une fois le film terminé, alors que j'émergeais lentement d'un monde en noir et blanc pour retrouver une grise soirée de novembre, je me pris à penser au tourbillon médiatique qui ces temps-ci nous entraîne - du moins pour ceux qui, comme moi, ont une radio greffée derrière l'oreille - toujours plus loin dans son vertige insensé. Dans le film de René Clair, à force de tout savoir avant tout le monde sans pouvoir expliquer d'où lui viennent ses certitudes, le protagoniste, Larry Stevens, finit par apparaître suspect aux yeux d'un certain nombre de gens, dont un inspecteur de police. Lui-même en vient peu à peu à douter du "miracle" dont il est en fin de compte la victime, doute qui se transforme en peur panique quand il lit sur le journal du lendemain l'annonce de sa propre mort. 

Les journalistes eux aussi sont aujourd'hui en proie au soupçon. Le cycle d'information continu (que Jon Stewart a récemment qualifié de "24-hour politico–pundit' perpetual panic conflictinator") qui toutes les heures introduit un nouvel événement, dissèque le moindre geste, la moindre parole des politiques, qui aplatit l'actualité en mettant sur le même plan la protestation contre la réforme des retraites et la nouvelle coupe de cheveux du peut-être futur Premier Ministre, nous donne le vertige et nous amène à penser que tout cela n'est que du bruit, fait pour nous distraire, ou nous bercer.

Non contents de suivre l'actualité minute par minute - doux Jésus, le Président n'a pas serré la main à tel ministre, serait-ce un signe de son imminente disgrâce? - de provoquer à tout instant des tempêtes dans un verre d'eau (trouble), il semble que de plus en plus, dans l'infinie course au scoop, certains médias se sentent à présent en devoir de prédire l'avenir. C'est une tendance lourde, par exemple, dans les sondages pré-électoraux. On la retrouve, poussée jusqu'à l'absurde, dans le traitement actuel de la vie politique du pays. Chacun veut être celui qui annoncera le premier le nom du prochain Premier Ministre. Orchestré par l'Elysée comme une émission de télé-réalité (qui donc va devoir "quitter l'aventure"?), ce ridicule petit jeu de chaises musicales est devenu la seule préoccupation de nos bien-aimés éditorialistes. 

Le remaniement, c'est demain, c'est demain, c'est demain.....  Mais nous, nous savons déjà, nous pouvons vous annoncer ce qui arrivera demain. Ce sera le chevelu sympathique, bien entendu puisqu'il s'est fait couper les cheveux. C'est évident, tous en choeur: "c'est arrivé demain, c'est fait, la cause est entendue, n'en parlons plus." Comment? Vous dites? Ce ne serait pas lui? Mais enfin cela va de soi. Ce sera l'homme aux yeux de cocker. C'est d'ailleurs ce que nous avons toujours dit. Il est bien plus sérieux, il a fait du bon travail, le Président doit lui garder sa confiance. Tous en choeur: "c'est arrivé demain, c'est fait, la cause est entendue, n'en parlons plus." Jusqu'à ce qu'un autre ministre se teigne les cheveux, ou serre la main du président plus de quinze secondes d'affilée. Et le nouveau favori est sur toutes les unes. Dont disparaissent les manifestations, le chômage, la dépression profonde dans laquelle ce pays est en train de s'enfoncer. A partir du moment où l'on décide que l'on prédit l'avenir, on ne laisse plus la place au présent.

C'est arrivé demain. Sauf que l'on n'en sait rien.

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